Préface de Marie de Hennezel
Lorsque j’ai découvert, il y a quelques années, le livre de Claude Pinault, Le Syndrome du Bocal, j’ai été fascinée par le témoignage de cet homme, à qui un médecin avait annoncé qu’il resterait toute sa vie dans un fauteuil roulant, et qui a refusé ce sombre pronostic. J’ai dévoré son récit. La psychologue que je suis, toujours en quête des ressources insoupçonnées de l’être humain[1], trouvait là matière à conforter sa confiance dans l’humain.
Le livre a eu son succès. Depuis Claude Pinault ne cesse de recevoir des courriers de lecteurs lui demandant comment il a fait pour déjouer ce pronostic pour se remettre debout, pour marcher à nouveau. Moi-même, j’ai souhaité en savoir plus. Et c’est cette curiosité qui est à l’origine de ce livre.
Nous savons tous que la nature humaine est fragile et qu’un jour ou l’autre nous pouvons être atteins par une maladie. Nous confions alors notre corps aux mains de la médecine, qui a fait d’immenses progrès, et c’est la seule manière, pensons-nous, de nous donner des chances de guérir. Nous déléguons massivement aux autres, une science qui reste inexacte, perdant du même coup tout pouvoir sur nous-mêmes. Beaucoup d’entre nous, passifs dans le processus thérapeutique, deviennent extrêmement dépendants des médicaments. Comme si ce n’était pas notre affaire. Un livre récent[2] rend à la personne ce qui lui appartient, et qu’une médecine toute puissante, techno-centrée, avait fini par s’approprier, à savoir les ressources insoupçonnées du corps. Notre corps détient, en effet, des capacités inouïes, infiniment plus efficaces que nombre de médicaments. Mais il détient aussi des capacités stupéfiantes de restauration, de régénération, lorsqu’il est aidé par la pensée, par ce qu’on appelle « le mental. » Ce livre est écrit par un médecin, qui reconnaît – et c’est une première dans l’édition – que le malade lui même détient les clés de sa guérison.
Il est rare qu’un médecin aujourd’hui ose dire aux malades : « vous êtes votre meilleur médecin ». C’est courageux d’avancer publiquement que « le cerveau et le corps humain disposent en effet de pouvoirs très puissants, qui ne sont pratiquement jamais utilisés. Il suffit de les activer pour soigner efficacement un nombre considérable de symptômes et de maladies. »… Nous possédons au fond de nous nos propres médicaments pour nous soigner mais nous ne les utilisons pas. Nous sommes nos propres médecins mais nous ne le savons pas.»[3] Les lobbies pharmaceutiques regardent sans doute cette audace d’un mauvais œil.
Il est rare aussi qu’un malade témoigne publiquement de cette ré-appropriation de son corps. Qu’il raconte à d’autres la manière dont il a essayé de participer activement à sa guérison, en utilisant les ressources de son esprit.
Je ne veux pas dire que peu le font, mais que peu osent le faire. Est-ce de la pudeur, est-ce trop intime ? N’est-ce pas surtout que le progrès scientifique et technique de la médecine a progressivement étouffé le mystère même du corps, de son fonctionnement étroit avec la pensée et l’esprit.
Aujourd’hui, les neurosciences s’intéressent de plus en plus à ce lien entre le corps et l’esprit. Des expériences de méditation, de neurofeedback, ou à base d’effet placebo ont démontré en laboratoire, des effets thérapeutiques sur des maladies aussi graves que la dépression, les déficiences immunitaires, la maladie de Parkinson ou même la douleur, le stress. Un diplôme universitaire de médecine spécialisée en méditation et neurosciences a même été créé en février 2013 à Strasbourg.
Mais aux USA, cela fait longtemps que les chercheurs explorent ces liens corps-esprit. Je me souviens d’un colloque à Montréal, il y a vingt ans, sur les processus de guérison. J’avais été surprise du nombre de communications scientifiques sur la force de la pensée et le pouvoir de conviction de l’esprit sur le corps. On sait aujourd’hui, depuis peu, que l’effet placebo[4] fait produire au cerveau ses propres remèdes. Un placebo analgésique déclenche ainsi la production d’opioïdes dont l’action est similaire à la morphine.
Nous abordons dans ce livre d’entretien avec Claude Pinault le témoignage d’un homme atteint du syndrome de Guillain Barré. Une maladie auto-immune, généralement consécutive à une infection virale qui provoque un dérèglement immunitaire. Au lieu de défendre l’organisme, ce qui est normalement sa mission, le système immunitaire le prend pour cible et se retourne contre lui. Dans le cas du Guillain Barré, il y a une erreur de « programmation ». On pourrait dire les choses comme cela : le système immunitaire confond le virus avec la myéline des nerfs. Il va donc se mettre à détruire la gaine qui entoure les nerfs moteurs. Cette destruction entraîne une paralysie progressive des muscles, associée à des douleurs insupportables.
Dans la grande majorité des cas, la maladie est réversible au bout de quelques mois. Dans 10% des cas, l’atteinte des muscles du diaphragme peut entraîner une asphyxie, ce qui nécessite une réanimation et peut entraîner la mort. Il arrive, bien que ce soit assez rare, que la destruction touche l’axone, c’est à dire le cœur du nerf. Si cette atteinte axonale est profonde, cela entraîne une paralysie définitive des membres.
C’est cette dernière atteinte –une forme axonale sévère et atypique qui a été diagnostiquée chez Claude Pinault, au bout de deux mois. Il était donc promis à une vie en fauteuil roulant.
Mais aujourd’hui, Claude est debout. Il marche. Dans son livre Le Syndrome du bocal, il raconte les dix-huit mois de sa maladie, ce qu’il a vécu, et surtout la manière dont il a réagi à la condamnation qui lui a été annoncée par le corps médical : « Monsieur Pinault, quand y a plus de jus, y plus de jus ! Vous ne remarcherez plus jamais !»
Claude Pinault ne connaissait aucune des techniques alternatives à la mode, de cette médecine par l’esprit. Mais intuitivement, il a cherché à utiliser tous les leviers que l’on repère dans la méditation, la visualisation positive, l’hypnose ou l’effet placebo. Son témoignage est donc d’autant plus intéressant qu’il est celui d’un homme qui a trouvé tout seul la manière d’aider son corps. Preuve supplémentaire des ressources de l’esprit humain, de sa liberté créatrice. Dans le cas de Claude, pas d’endoctrinement, pas de groupe sectaire derrière ce qu’il a pratiqué. C’est seul, avec son bon sens, son énergie, son intelligence, qu’il a trouvé ce qu’il appelle « les clefs de son corps ».
Nous avons pensé qu’il serait utile de parler plus en détail, et avec le recul dont il dispose maintenant, de ce que Claude a mis en œuvre pour contrer ce funeste pronostic.
J’interroge donc Claude sur son état d’esprit, sa « méthode », qui, pensons-nous, peuvent inspirer d’autres malades et leur montrer le rôle que peut jouer la pensée et l’esprit. Bien des pronostics médicaux mettent les malades sur une pente défaitiste. On baisse alors les bras. On subit l’évolution de sa maladie, alors que dans une certaine mesure le meilleur médecin c’est le malade lui même, son corps disposant de ressources que la science n’a pas encore pu clairement identifier.
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MH : Claude, peux-tu en quelques mots nous raconter ce qui t’est arrivé ? Le début de ta maladie, jusqu’au diagnostic de Guillain Barré ?
CP : Un matin, j’ai ressenti d’une manière parfaitement symétrique des fourmillements dans les deux mains. Au cours de la journée, la sensation s’est intensifiée et les fourmis ont gagné lentement mes pieds. J’ai eu très rapidement l’impression de marcher sur de petits cailloux ronds. En plus de ces sensations bizarres et impressionnantes, une grande fatigue et beaucoup d’inquiétude ont commencé à m’envahir. Un filet toxique me prenait dans ses mailles. Dans la nuit, lorsque je me suis levé, j’ai eu d’énormes difficultés pour relever mes pieds sans trébucher ; la paralysie gagnait progressivement mes jambes. Ensuite, au matin, tout s’est emballé très vite. Je suis tombé dans ma douche, ma femme a dû m’aider pour me sécher, pour m’habiller. Heureusement, la veille, une amie médecin avait craint la possibilité de ce Syndrome de Guillain Barré (SGB) et m’avait pris rendez-vous à la première heure pour consulter un neurologue. Mais dans la soirée, brusquement, mon état a empiré très rapidement et une perte de connaissance m’a propulsé directement vers le service de réanimation de l’hôpital d’Orléans pour un séjour de trois mois.
A commencé alors pour moi, un long voyage au bout de l’enfer de plus de quatorze mois d’hospitalisation.
Un voyage tétraplégique en Syndrome de Guillain Barré …
MH : j’aimerais revenir sur une des clés de ta « guérison », la visualisation positive. Explique-nous d’où t’est venue cette technique, que tu n’avais pas apprise, mais que tu t’es en quelque sorte inventée.
CP :
[1] Marie de Hennezel, Loin des doctrines, à l’écoute de l’âme, Pocket, 2013.
[2] Frédéric Saldman, Le meilleur médicament, c’est vous !, Albin Michel, 2013.
[3] Ibid cité p 9-10
[4] Effet placebo : phénomène qui veut qu’un composé inerte, dénué de substance active, parvienne à engendrer des bénéfices thérapeutiques réels chez un patient.
En 2002, un neurologiste suédois a comparé, dans le cerveau, les effets d’un antalgique et d’un placebo. Tous les volontaires pensaient avoir reçu un opioïde dérivé de la morphine mais certains n’ont reçu qu’un composé inactif. On leur a infligé ensuite un stimulus douloureux pendant qu’on scannait leur cerveau. Que les sujets aient été sous antalgiques ou qu’ils aient cru l’être, les mêmes zones du cerveau ont été activées et tous les patients ont déclaré n’avoir pas ressenti de douleurs. Bien d’autres expériences menées avec des antidépresseurs et des anxiolytiques ont montré l’efficacité de l’effet placebo, c’est à dire du pouvoir de se convaincre.